Comment situer la pleine conscience par rapport au yoga ?

Juin 2018, je viens de finir la formation de 8 semaines en MBSR (Mindfulness based stress reduction) avec une instructrice formidable, Valérie Ciolos-Villemain, à Bucarest en Roumanie.

On traduit le plus souvent « mindfulness » par « pleine conscience », mais certains lui préfèrent « pleine attention », « pleine présence », « attention vigilante », ou « attention consciente ».

Dans son introduction sur la méthode MBSR, l’instructrice avait présenté le yoga comme étant de la pleine conscience. Pour moi, c’était plutôt la pleine conscience qui était du yoga. Je vous livre ici ce que j’ai observé et compris au bout de ces 8 semaines, qui comprenaient :
– une séance hebdomadaire de 2h30 guidée par l’instructrice,
– l’engagement d’une pratique personnelle 6 jours sur 7, entre 45 minutes et 1 heure, et autres exercices d’attention sur des moments particuliers de la vie quotidienne,
– une journée en silence vers la fin de la formation.

La MBSR est une méthode issue du yoga et de la méditation bouddhiste, que Jon Kabat-Zinn, le médecin américain qui a mis au point, breveté et diffusé cette méthode, a pratiqués pendant de nombreuses années – il l’évoque lui-même dans ses livres. Souvent, les conférenciers qui parlent de la pleine conscience mentionnent seulement la référence à la méditation bouddhiste.
La MBRS s’adresse au départ à des personnes fragiles psychologiquement ; elle est pratiquée dans des cliniques. C’est donc une méthode très douce qui cherche à rester sur le plan de l’observation sans rien imposer, car imposer, ce serait risquer de mettre les personnes en situation d’échec, d’en faire rechuter certaines dans la dépression. Très peu de directives, donc, mais un apprentissage doux et efficace de l’observation et de la concentration : observation du corps, dissociation des sensations corporelles, des émotions et des pensées, dans les moments de pratique comme dans le quotidien. Pourtant, il y a parfois des injonctions qui, si elles tiennent en quelques mots, nécessiteraient à mon sens un véritable enseignement de yoga, comme nous allons le voir.

La pratique suit trois axes sans ordre précis :

1) La « méditation assise » : le dos doit être droit. Il y là pour moi un gigantesque paradoxe entre cette toute petite phrase et le reste de la méthode qui développe une attitude de témoin. Car le fait est qu’il est très difficile de rester assis le dos droit. Aucune indication sur comment faire, comment s’asseoir. On propose juste des chaises pour ceux qui ne peuvent pas s’asseoir au sol. Ceci dit, dans la formation que j’ai suivie, l’instructrice, ouverte d’esprit et sachant que j’enseignais le yoga, m’a proposé de guider les participants dans l’installation d’une bonne posture d’assise.
Sur ce plan, le yoga est beaucoup plus pragmatique. En yoga aussi, on médite le dos droit. Mais pour y parvenir sans douleur physique, les yogis avaient bien vu et compris les difficultés des corps à rester longtemps dans cette position, et c’est précisément dans cet objectif qu’ils ont introduit les āsanas, les postures. C’est ce que l’on retrouve dans le Yoga Sūtra de Patañjali, un texte vieux d’environ 2000 ans. Ce texte présente un enseignement du yoga structuré en 8 membres, que je ne détaillerai pas ici, mais dont le tout début est la non-violence. Le membre qui suit les postures est prānāyāma, la pratique respiratoire en tant que telle. Après cette préparation du corps et du souffle, la pratique s’intériorise et l’on trouve la concentration (dhāranā), suivie de la méditation (dhyāna). La méditation assise de la méthode MBSR correspond en fait plutôt à une concentration du yoga sur le souffle. Mais il faut reconnaître que le terme « méditation » est devenu assez flou aujourd’hui, même dans le monde du yoga. Dans le Yoga Sūtra, la méditation n’est pas une pratique, mais un état, que l’on ne peut que favoriser et qui intervient lorsqu’il n’y a plus de séparation entre l’objet de concentration (ici le souffle), l’observateur et l’observation. On pourrait dire que c’est de la concentration élevée au rang de perfection.

2) La MBRS introduit dans sa formation un peu de « yoga » : deux séances préétablies sont proposées, un « yoga couché » et un « yoga debout », parfois simplement appelés « mouvements en pleine conscience ». Chez soi, on peut faire ces pratiques à partir de liens vers des fichiers mp3. Les indications sur la prise de conscience du corps sont les mêmes qu’au yoga, les mouvements et postures aussi (bien que limités dans leur variété), la différence est qu’ils sont proposés par des personnes qui ne sont pas formées à l’enseignement du yoga et sans toutes les précisions posturales essentielles que donne un enseignant de yoga suffisamment formé. Honnêtement, peut-être que les non-pratiquants de yoga ne sont pas à même de voir la différence, mais ce n’est ni sérieux, ni respectueux. Pour la séance de yoga couché, les mouvements étant limités, les risques de se faire mal le sont aussi, mais quel dommage de se priver de la richesse de la précision du yoga ! Pour la séance de yoga debout, certaines postures sont dangereuses enseignées comme elles le sont, car ce sont des postures qui nécessitent d’être bien placées avec des instructions précises pour être bénéfiques, et qu’elles sont proposées sans aucune progression.
Sans que ce soit clairement dit, le yoga apparaît donc (me semble-t-il, mais c’était peut-être juste dans la formation que j’ai suivie) comme une sorte de gymnastique pour le corps que l’on peut enseigner sans avoir été formé, et que l’on peut pratiquer chez soi à l’aide de directives exclusivement audio sans support visuel. De plus, le nom des postures n’est pas toujours mentionné, ce qui empêche faire des recherches en parallèle pour mieux comprendre ce qui est attendu. Personnellement, en tant qu’enseignante de yoga depuis 18 ans, c’est la première fois que je me retrouve à suivre des cours de yoga donnés par des enseignants qui ne sont pas formés pour ça, et à mes yeux, les manques dans ce qui est proposé sont criants : manque de précision concernant l’installation des postures, de progression possible d’une séance à l’autre, d’exploration du corps petit à petit au fur et à mesure d’un enseignement sur le long terme, de préparation spécifique à l’assise… Par contre, j’ai eu à travailler l’accueil et le lâcher-prise 😉 Je pense qu’il serait intéressant de filmer une personne qui n’a pas pratiqué de yoga et de voir comment elle interprète les instructions !

3) Le body-scan ou scan corporel
Proposé allongé dans le sens habituel de la relaxation en yoga (des pieds vers la tête), et du même genre en plus lent que la rotation de conscience du yoga-nidra.

 

Les effets :

J’ai été témoin au fur et à mesure des échanges de la transformation des participants. C’était beau et émouvant ; je me revoyais avancer de la même manière au cours de mon école de yoga (l’EFY à Paris), il y a quelque temps maintenant. J’ai peu appris sur le fond, ayant plutôt l’impression d’avoir dans mes cours un discours similaire à celui de l’instructrice. Néanmoins, pendant 8 semaines, en comptant en moyenne 3 heures de pratique personnelle par semaine et 2h30 avec l’instructeur, plus 7h pour la journée en silence, ce sont plus de 45 heures de pratique qui ont eu lieu. C’est l’équivalent d’une année de cours hebdomadaires de yoga d’1h30 suivis avec assiduité. Les résultats entre cette formation MBSR et le yoga sont à mon sens comparables, mais peuvent peut-être paraître plus spectaculaires avec la MBSR parce qu’ils sont plus rapides.

La forme de l’enseignement de la MBSR comporte des aspects très intéressants :

– Elle est très structurée et protocolaire, ce qui a permis de faire des études scientifiques sur ses effets, nombreux aujourd’hui à confirmer son efficacité (ces études valident du même coup la méditation bouddhiste et le yoga). Si son inspiration est orientale, elle est présentée de manière psychologique et scientifique avec un vocabulaire exclusivement occidental. Tous ces aspects rendent la MBSR attractive auprès de personnes qui seraient réticentes à recevoir un enseignement plus connoté oriental.

– le fait d’imposer une pratique personnelle est un pari et une audace formidables de Jon Kabat-Zinn. Jamais aucun enseignant de yoga n’a imposé cela en Occident, à ma connaissance. Cela permet petit à petit d’instaurer des habitudes quotidiennes en autonomie. C’était d’ailleurs l’un de mes objectifs en participant à ce cours, moi qui avais une pratique quasi quotidienne de yoga postural, mais plus espacée en ce qui concernait la méditation. Et je reconnais que le fait de m’engager pendant 8 semaines a constitué une aide véritable, non dans ma pratique (j’ai conservé la mienne), mais dans la régularité de mon engagement.

– le passage par l’écrit, pour consigner ce qui est vécu pendant les pratiques chez soi, mais aussi en portant l’attention d’une semaine sur l’autre plus précisément à certains événements, puis le partage des expériences au sein du groupe, est à la fois puissant et aide à mettre davantage d’observation et de conscience dans ce qui est vécu dans les pratiques comme au quotidien. Parfois, un participant exprime une expérience ou un ressenti qui résonne aussi chez d’autres alors qu’ils n’en étaient pas encore à pouvoir les formuler.

Conclusion

On peut regretter que Jon Kabat-Zinn n’ait pas intégré le mot yoga dans l’intitulé de sa méthode, puisque ce qui est enseigné est contenu dans le yoga et non l’inverse. Mais s’il a pratiqué un certain temps le yoga, il n’a probablement pas suivi de formation pour l’enseigner, et n’en avait visiblement pas mesuré l’envergure. La philosophie et la méditation bouddhistes, elles-mêmes issues pour une grande part du yoga et de la philosophie indienne, sont extrêmement proches de celles du yoga. En tout état de cause, une pratique de yoga qui ne serait pas « mindful » ne serait pas du yoga, le yoga étant par définition l’union à la Conscience.

Je suis aujourd’hui persuadée de l’intérêt de la MBSR pour tous y compris les pratiquants de yoga, qui pourront ainsi affiner, approfondir et élargir leur pratique de dhāranā, la concentration, et s’aider à instaurer une pratique régulière. Réciproquement, je suis convaincue de l’intérêt de cours de yoga pour les pratiquants de MBSR : ils pourront trouver après les 8 semaines de formation une aide hebdomadaire (ou plus fréquente) avec la présence d’un groupe pour accompagner la poursuite de leur pratique, tout en bénéficiant d’un véritable enseignement du yoga, dont ils pourront petit à petit s’émerveiller de la richesse, de l’intelligence et de la profondeur (en faisant attention à la qualité de la formation de l’enseignant, car tous les enseignements en yoga ne se valent pas. Privilégier des personnes qui ont eu au minimum 500 heures de formation étalées sur 4 ans et incluant l’étude des principaux textes du yoga).
MBSR et yoga : il y a une réelle complémentarité.

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