Un stage d’une semaine sur le sujet Yoga et Enfants a lieu depuis 2011 à Paris. Il s’adresse aux enseignants de yoga membres de la FNEY. Le groupe de recherche Yoga et Enfants, composé de Geneviève Devinat, Isabelle Couffinhal et moi-même, l’anime et fait intervenir différents spécialistes. Parmi eux, Patricia Mizrahi donne depuis plusieurs années un atelier-conférence sur le développement psychomoteur de l’enfant. Dans cet article, paru dans le numéro 359 des Carnets du yoga en septembre 2017, Isabelle Couffinhal a interviewé Patricia Mizrahi et nous présente son travail de psychomotricienne ainsi que son intervention pendant le stage.
Par Isabelle Couffinhal
Patricia Mizrahi est psychomotricienne. Depuis 2015, elle intervient dans le séminaire « Yoga et enfants » qui a lieu chaque année à la Toussaint, au sujet du développement psychomoteur de l’enfant de 0 à 6 ans.
J’ai fait la connaissance de Patricia il y a quelques années alors que j’amenais mes enfants à des séances d’orthophonie et de psychomotricité dans une petite maison de village à côté d’Avignon.
Alors que j’attendais mon tour dans la salle d’attente, mon attention fut attirée par une porte derrière laquelle on entendait les éclats de rire d’un enfant et d’un adulte, des applaudissements, des bravos, des bruits de sauts : on aurait dit une fête. J’ai interrogé du regard les parents qui patientaient avec moi et l’un d’eux finit par me dire « c’est normal c’est la psychomotricienne, c’est toujours comme cela !». J’ai su, à ce moment-là, que j’étais au bon endroit pour mes enfants. Au fil des séances et des années, un lien s’est tissé et quand le groupe de recherche a eu besoin d’un intervenant pour parler du développement de l’enfant, proposer Patricia me parut une évidence.
Patricia a pratiqué le QI Gong pendant de nombreuses années ainsi que le Yoga. Elle vit sa pratique corporelle en lien profond avec l’énergie et la spiritualité.
Je propose que, comme dans tes bilans, nous fassions une petite anamnèse qui nous raconterait le chemin qui t’a conduite à la psychomotricité :
J’étais inscrite à la faculté de médecine et m’y ennuyais ferme. Je n’étais pas dans le concret, je ne voyais pas de finalité à cela. J’ai décidé de partir en Kibboutz pendant 6 mois. Juste avant mon départ, un ami qui commençait ses études m’a parlé de la psychomotricité. La façon dont il en a parlé (les enfants, le jeu, la relation d’aide….) a fait immédiatement sens pour moi. Et sans plus de réflexion, à la rentrée suivante, je me suis inscrite en psychomotricité. Tout était déjà là pour moi, dans ces trois éléments : les enfants, aider l’autre, apprendre en s’amusant ! Et ils sont restés ma devise. Quand, en vue d’une rééducation, je présente la psychomotricité à des parents et leur enfant, c’est ce que je leur dis. D’ailleurs, si lors d’une séance, un parent laisse son enfant en disant «travaille bien», je le reprends en disant «on ne va pas travailler, on va jouer».
Est-ce que la dimension corporelle proposée par la rééducation en psychomotricité a fait sens tout de suite pour toi ?
Je pense qu’elle a fait sens beaucoup plus tard, au fur et à mesure de mon évolution personnelle, de mon expérience, des retours que me faisaient les parents, les partenaires professionnels.
Je suis une personne très intuitive, je comprends d’abord avec mon corps avant de savoir avec ma tête. En général, mes constructions mentales déforment la réalité, alors que, quand mon corps qui me dit les choses, c’est juste.
Ainsi la connaissance du monde et de l’autre à partir de son corps telle que la perçoit la psychomotricité m’a facilité son partage avec les enfants. C’était même une évidence. Mais tout cela je ne l’ai compris qu’en me connaissant mieux.
Durant mes quinze premières années de pratique, je ne me posais pas tant de questions. Ce qui a changé, c’est qu’avant je « faisais », maintenant je m’en sers en pleine conscience.
Comment prépares-tu une séance de rééducation ?
Je ne prépare pas vraiment mes séances. Chaque fois que je le fais, cela contraint mon ressenti de l’enfant, ainsi que ma créativité et la sienne. Par contre, je travaille beaucoup en amont, à partir du bilan, de l’anamnèse, je construis un projet thérapeutique qui me permet de savoir où je veux amener l’enfant. A la fin de chaque séance, je prends des notes : j’écris ce que l’on a fait et ce que je voudrais faire pendant la séance suivante. Et je m’y réfère, ou non, en fonction de ce qu’amène l’enfant de son vécu, de son humeur.
Quand l’enfant entre dans ma salle, je plonge pour ainsi dire dans son univers. Je suis complètement avec lui. A cet instant, ce qu’il faut faire pour l’aider ne passe pas par ma tête, cela passe par mon corps.
Fais-tu un lien entre ta manière d’être avec l’enfant et les propositions qui sont faites aux stagiaires du séminaire « Yoga et enfants » ?
Ce que j’apprécie dans le séminaire « Yoga et enfants », en tant que professionnelle, c’est de voir des enseignants de yoga encourager les stagiaires à entrer en contact avec leur part d’enfance et à connaître la réalité de ce qu’est un enfant. J’apprécie que l’on y développe nos intuitions vis à vis de l’enfant. Et moi-même, quand je fais mon intervention sur le développement psychomoteur de l’enfant, je cherche à emmener les stagiaires dans le monde de l’enfant.
Concrètement en quoi consiste ton métier et qu’est-ce qui te tient vraiment à cœur ?
Je vais commencer par répondre à la deuxième partie de ta question parce qu’elle explique le sens que je donne à l’exercice de mon métier. En préambule, je dirais que chaque psychomotricienne met, dans sa pratique, ce qu’elle est : une psychomotricienne qui est cavalière fera de l’équi-thérapie, une danseuse mettra de la danse dans sa rééducation …
Pour ma part, deux éléments fondent ma pratique. En premier lieu, je suis la mère d’une jeune fille ayant des troubles d’apprentissages très sévères ; avec elle j’ai été formée à bonne école pour ainsi dire. Cela m’a donné l’envie d’agir en sorte que ce qu’elle a vécu, d’autres enfants ne le vivent pas.
Je suis aussi petite-fille de déportés et fille d’enfants cachés et sauvés par des «Justes ». Cela a, inconsciemment, beaucoup influencé ma façon de travailler avec les enfants, de leur venir en aide : en fait, je pense que je m’implique de façon entière, un peu comme si je devais « les sauver » et non simplement les rééduquer. Cette aide passe aussi par l’accompagnement des parents qui peuvent être en souffrance ou dans l’incompréhension, mais également par l’accompagnement des enseignants, pour les amener à regarder l’enfant en difficulté avec bienveillance, leur donner des outils d’adaptation et des clés de compréhension.
Un enfant ne vient pas en rééducation de son propre chef. Il faut pouvoir le rendre acteur de sa prise en charge mais également aider le milieu dans lequel il évolue, sinon la rééducation ne portera pas ses fruits.
Ceci étant posé, je suis rééducatrice d’enfants qui ont des difficultés d’apprentissage, à l’école, dans leur quotidien et dans le monde qui les entoure.
Et donc comment définirais-tu la psychomotricité ? Une psychomotricienne ?
Une psychomotricienne est au corps ce qu’une orthophoniste est au langage.
Pour nous tous, le corps est notre mètre-étalon. C’est à partir de là que nous naissons au monde, que nous le comprenons, que nous entrons en relation avec les autres et bien sûr avec nous-mêmes. Le corps est le premier étage de la fusée.
Etre psychomotricienne consiste à prendre cette dimension du corps comme un langage et comme un outil de connaissance et d’apprentissage. Mon chemin est d’aider l’enfant qui a des difficultés à utiliser son corps, pour qu’il puisse mieux se l’approprier, développer des compensations si nécessaire, pour qu’il ait un accès plus serein et gratifiant au monde qui l’entoure et à lui-même. Pour moi, la dimension du corps, dans la rééducation psychomotrice, est essentielle.
Je pourrais utiliser l’ordinateur et des logiciels spécialement conçus pour certains domaines de rééducation, mais je m’y refuse. Ce n’est pas par là que je veux passer. Quand nous n’utilisons pas notre corps, une partie de nous est ignorée. D’où l’importance, pour les enfants, d’avoir un vécu, des pratiques corporelles.
Tu t’es spécialisée dans les troubles des apprentissages (tu es titulaire d’un Diplôme Universitaire sur le sujet) certainement en raison de ton expérience avec ta fille mais il me semble que tes motivations sont plus larges ?
Tout à fait ! Au-delà de mon expérience personnelle, je trouve vraiment que l’école n’est pas assez bienveillante avec les enfants. Elle ne les accompagne pas correctement, en particulier parce qu’elle leur demande très tôt (dès la moyenne section de maternelle) de « mettre leur tête sur le bureau» et d’oublier leur corps. Or j’en suis intimement persuadée – et les neurosciences vont dans ce sens – : on apprend aussi avec son corps ! On installe, on dialogue avec le monde qui nous entoure par son corps. Et surtout, la mémorisation se fait mieux quand elle passe par le plaisir.
Nous en avons tous l’expérience dans notre vie. C’est une notion qui ne me semble pas suffisamment prise en compte à l’école. Je suis donc très impliquée pour donner aux enfants ce vécu qui leur manque à l’école.
Tous les enfants apprennent avec le corps et certains en ont encore plus besoin que d’autres. Par exemple, les enfants ayant des troubles de l’attention sont bien plus compétents et concentrés quand on les autorise à bouger.
A mon avis, l’éducation sépare trop souvent le corps et les apprentissages, alors qu’ils fonctionnent naturellement ensemble. Mon métier consiste à rassembler ce qui est séparé : le corps, les émotions et la pensée.
Justement, puisque tu évoques le niveau émotionnel et mental, il me semble que tu n’es pas seulement psychomotricienne : tu as enrichi ta pratique avec la Programmation Neurolinguistique (PNL) ?
Pendant dix ans, je me suis arrêtée de travailler pour m’occuper de mes trois enfants. Vivre complètement ma fonction de mère c’était, encore, être dans ce rassemblement corps-émotion-pensée, mais avec mes propres enfants.
Au cours de cette période, je me suis formée à la PNL (master).
Qu’est-ce que la PNL a apporté dans ta pratique de psychomotricienne ?
Pour faire simple, la PNL utilise le « comment faire » pour aller mieux, plutôt que de chercher « pourquoi » quelque chose ne va pas. Et, comme la psychomotricité, elle passe par le corps.
Un concept de la PNL est fondamental dans ma pratique, c’est la synchronisation.
Quand tu vas dans un café, si tu observes bien, tu peux reconnaître les amoureux : leurs gestes sont synchronisés, ils vont avoir les mêmes balancements, les mêmes mouvements de mains. Quand les personnes sont en train de se disputer, leurs gestes, le ton de leur voix ne sont pas accordés.
Le fait d’être en phase avec quelqu’un nous amène, inconsciemment, à nous synchroniser au niveau de notre posture, de notre langage corporel, de notre rythme, du ton de notre voix.
Avec les enfants, en rééducation, je le fais volontairement.
Quand je disais tout à l’heure que je plongeais dans le monde de l’enfant, en fait, je me synchronise au niveau de son corps, de son état d’esprit et de ses émotions.
Par exemple, quand un enfant rit parce qu’il réussit ce qu’il est en train d’accomplir, je vais rire avec lui, je vais accompagner son rire parce que ce rire va inscrire la réussite et le plaisir dans son corps, dans sa mémoire. Je vais amplifier ma joie en frappant dans mes mains car ma joie va renforcer la sienne. Cela devient un moment fondateur.
Mais alors comment fais-tu quand un enfant arrive déprimé, démotivé, anxieux ?
Je vais faire en sorte qu’il puisse se synchroniser sur moi et mes émotions positives.
Il peut arriver qu’un enfant à qui j’apprends à jongler ou à jouer aux fléchettes (ce qui est bien souvent un défi pour les enfants dyspraxiques) me dise « je suis nul, je ne vais pas y arriver … ».
Or, après un travail d’apprentissage du geste, il arrivera un moment où une fléchette atteindra la cible ou bien il aura jonglé avec les deux balles sans les faire tomber au moins une fois. Quand ce moment arrive, je m’en saisis totalement : « waouh, super ! génial ! bravo !». A nouveau, j’amplifie: je saute, j’applaudis, je ris. Et je continue ainsi pour chaque balle ou chaque flèche qui arrive au bon endroit.
Jusqu’à ce que l’enfant soit, lui-même, en joie, qu’il saute, qu’il rie, qu’il goûte ce moment de plaisir. Du coup, sa joie devient son fond de commerce pour réussir et entraîne une spirale vertueuse de progrès.
Pour synthétiser : tu as réussi une fois, je te montre combien c’est formidable, deux fois, trois fois. Dès lors tout devient possible parce que l’enfant s’est fabriqué son propre plaisir, sa propre condition de réussite.
C’est vraiment inspirant comme perspective ! Tu exerces en CMPP et en libéral depuis quinze ans. As-tu vu des changements majeurs chez les enfants que tu reçois ?
La majorité des enfants que je suis ont des troubles d’apprentissage dont beaucoup avec des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité. Je dirais qu’en quinze ans, ces enfants dits TDA/H sont passés de 15% de ma patientèle à 90%. Cela s’explique, bien sûr, par le choix des prescripteurs qui m’adressent des enfants porteurs de ce trouble sachant qu’il est dans le spectre de ma spécialité. Mais cela n’explique pas tout.
Je pense que cela est dû aussi au fait que l’école est devenue plus contraignante et normative, que les temps d’écran sont trop longs pour ces enfants qui ont vraiment besoin de faire sortir leur énergie. On ne voit plus, par exemple, des bandes d’enfants se balader à vélo dans les villages, et cela s’explique aussi parce qu’il y a plus de voitures, c’est plus dangereux. La société évolue, change.
Par ailleurs, je suis frappée par le fait que, parmi les parents que je reçois pour leur enfant, beaucoup sont en difficulté dans l’éducation de leurs enfants. Ils ont du mal à dire non, à poser des limites. Aussi le coaching parental s’est-il peu à peu imposé au cours des séances de rééducation.
Mais je constate en revanche que les parents montrent beaucoup plus leur affection, l’amour circule plus librement au sein de la famille.
Il nous faut déjà terminer alors que cet entretien pourrait durer des heures. Je voudrais, avant de nous quitter, que nous parlions de ton ressenti du séminaire « Yoga et enfants » et de ce qui te motive à vivre cette aventure avec nous ?
Je crois tout simplement que nos objectifs sont les mêmes. C’est toi qui nous a rapprochées, je dirais, en connaissance de cause, en voyant la concordance entre l’esprit de recherche qui anime votre groupe et l’esprit dans lequel j’exerce mon métier : multiplier les approches, ne jamais cesser de s’interroger et de chercher, et surtout mettre l’enfant au cœur de la pratique, se mettre à son service. Et puis, bien sûr, il y a la dimension humaine. Il me semble que nous allons au-delà d’un partage de connaissances et de savoirs faire, nous partageons une vision commune de l’enfant, nous sommes animées par le même désir d’aider l’Humain. Pour parler plus précisément du stage de la Toussaint dans lequel j’interviens, je dois dire que j’aime assister à tout le séminaire parce que mon intervention se lie aux vôtres, il y a un fil conducteur, une progression tout au long de la semaine. Il se peut qu’au cours du séminaire, bien après mon intervention, une question surgisse, ou que je puisse aider à préciser quelque chose sur le développement de l’enfant en tant que professionnelle. J’apprécie de voir la créativité des stagiaires se révéler jour après jour. J’aime l’idée de la transversalité des disciplines car le Yoga pour enfant participe à leur éveil psychomoteur. J’aime cette idée de faire partie d’un voyage et d’accompagner le plus possible. Je me sens plus riche intérieurement et humainement de participer à ce projet.
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